Message
de Barthélemy
Boganda aux Conseillers Nationaux de Transition en Centrafrique
Par Paterne-Auxence
MOMBE
Mesdames
et Messieurs les Conseillers,
Dans
les jours à
venir, vous aurez la lourde tache et responsabilité
de voter un nouveau président
de transition pour conduire la Centrafrique notre pays sur le chemin de
l'apaisement, de la stabilité
et du retour à
l'ordre constitutionnel par les élections
générales.
Je ne doute pas que ayez mesuré
la portée
et l'importance de l'acte que vous aurez à
poser. Et pour autant qu'une telle action nécessite
un travail de réflexion
personnelle profonde et sérieuse,
permettez-moi d’emboîter
le pas aux compatriotes qui vous ont déjà
écrit
–
Jean Serge Bokassa, Alexis Béléké,
Félicien
Ndarata... –
pour apporter davantage d’éléments
susceptibles de vous éclairer
et vous inspirer dans votre engagement à
proposer aux centrafricains et centrafricaines un nouveau leader pour une
nouvelle phase de transition (qui du reste prendra le temps qu'il faudra
).
Ce
choix d'un nouveau président
de transition est crucial pour le relèvement
et la restauration de notre pays qui n'est devenu rien d'autre qu'un
État
complètement
en faillite, un État
en déliquescence
qui a perdu toutes ses prérogatives
d’État
aux yeux des autres. Il est inutile pour moi de souligner combien délicat
et important est votre choix ;
un choix sensé
conduire à
la fin des violences inter-communautaires, au retour des compatriotes
déplacés
ou réfugiés,
à
l'apaisement des cœurs,
à
la justice et réparation,
à
la reconstruction de la nation centrafricaine et au redémarrage
d'une vie étatique
dans un contexte apaisé...
Bref,
chacun de vos votes, messieurs et madames les conseillers, offre une chance
unique au peuple centrafricain de reprendre son droit au respect et à
la vie, dans la liberté,
la justice et la paix. Plus qu'une simple formalité,
il s'agira d'une décision
importante qui aura des répercussions
énormes
sur le devenir de notre pays comme État
ou nation.
Faut-il
démontrer
que si trop de sang a coulé,
si des milliers de compatriotes ont perdu la vie, si notre pays a perdu sa
capacité
de se produire comme État
souverain œuvrant
dans le sens du bien-être
du peuple et de la croissance du bien commun, c'est parce que certains,
même
parmi les conseillers et les présumés
candidats à
la présidence
de transition, ont pris leurs tâches
à
la légère,
mettant leurs intérêts
personnels ou partisans au-dessus de l’intérêt
national, et se distinguant dans le retournement de veste au gre des situations
au nom d'une prétendue
'realpolitik'? Faut-il rappeler que certains, même
au sein de cette auguste assemblée
que vous constituez, ont eu à
succomber à
des pressions extérieures
ou à
réduire
des actes patriotiques de vote en une affaire d'arrangement à
l'amiable à
coup de billets de banque, trahissant ainsi leur conscience et le peuple qui les
a mandatés
par cette charge très
noble de conseillers?
Mesdames
et messieurs les conseillers, bien chers compatriotes, vous avez aujourd'hui une
occasion unique et inouïe
de changer la face de la Centrafrique et de lui donner une chance de
renaître
de ses cendres et se réorganiser
comme État
et nation. Et dans ce contexte, il n'y a pas de mots plus forts que ceux de
notre propre père
et fondateur, Barthélemy
Boganda. Il n'y a pas de combat
plus noble qui vaille la peine d’être
mené,
au prix de sa propre vie, que le même
combat de Boganda
; le combat qu'il aurait mené
s'il avait été
là,
témoin
de ce qu'il convient d'appeler la descente aux enfers dans laquelle nous sommes
comme embarqués...
Dans
sa lettre “Nous
Allons Voter”
écrite
en 1951, Boganda écrivait
ces paroles plus que d’actualités:
«
Il n'y a que les hommes libres qui votent... Voter c'est prouver que vous
êtes
des êtres
libres. Voter librement, c'est prouver que vous avez un caractère
et que vous ne vous laissez ni intimider par des menaces ni acheter. Pour vous
Oubanguiens, voter c'est dire ce que vous voulez... Vous aller voter parce que
vous êtes
des hommes libres. Personne au monde, aucun homme, aucune femme, ne peut vous
obliger à
voter contre votre conscience. Personne au monde ne peut vous menacer de coups
de fusil ou d'emprisonnement si vous ne votez pas comme lui et avec
lui.
»
(Jean-Dominique Penel, Barthélemy
Boganda
: Écrits
et Discours. 1946-1951
: La Lutte Décisive,
Éditions
Harmatan, Paris, pp. 334-335).
Et
dans sa profession de foi du 17 juin 1951, notre père
fondateur de lancer également
cette appel solennel pas moins pertinent et impliquant pour vous, Messieurs et
Mesdames les Conseillers: «L'heure
est venue de montrer par votre vote ce que vous voulez, de choisir entre la
justice et l'injustice, de vaincre la violence et la tyrannie par cette grande
force que la Loi met à
votre disposition: le bulletin de vote. Aujourd'hui vous allez protestez contre
la servitude en votant librement pour la justice et la liberté...
»
(Jean-Dominique Penel, pp. 342-343).
Faut-il
s’arrêter
sur cette note? Il me semble que quelque chose manquerait
: la question de critères
du bon candidat à
choisir. Là encore, notre vénérable
père
fondateur constitue pour tous une bonne source d'inspiration. En paraphrasant et
contextualisant ses propos dans la lettre mentionnée
plus haut, on peut avoir ces paroles pleines d'enseignement:
«Voulez-vous
la justice, la liberté,
l’égalité
entre les peuples? Votez pour la personne qui a défendu
la vie de ses frères.
Voulez-vous avoir vos droits à
la vie, à
la liberté,
au respect de votre personne et de vos biens? Votez pour le/la compatriote est
connu pour avoir défendu
les droits de ses frères.
Vous voulez que la terre centrafricaine appartienne
aux centrafricains? Votez pour celui ou celle qui a montre les
capacités
d’être
votre arme de défense
contre toute oppression et tous les abus d’où
qu'ils viennent.»
Mesdames
et messieurs les Conseillers, à
cette étape
décisive
de l'histoire de notre pays, je voudrais humblement mais fermement vous inviter
à
inaugurer ce que j'appellerais 'l’ère
Boganda' en agissant selon l'esprit de Boganda, ou encore comme de véritables
fils et filles de Boganda. Comme il le disait lui-même,
«tout
bon fils doit être
la parfaite copie de son père».
La
tragédie
centrafricaine qui s'est tissée
au fil des années
avant d'atteindre son paroxysme avec la Séléka
ne peut nous laisser égal
à
nous-même.
Quelque chose doit changer dans notre manière
de voire, de faire, de gouverner ou de participer à
la gestion de la res publica. Nous
avons confiance en vous et nous comptons sur vous pour donner l'exemple par un
vote judicieux. Alors l'espoir d'une nouvelle Centrafrique, la République
de Boganda, pourrait poindre à
l'horizon.
Puisse
Boganda nous inspirer et nous guider et que l'an 2014 soit pour notre pays
l’année
du rebondissement et de la renaissance.
Que
Dieu vous bénisse!
Que Dieu bénisse
la Centrafrique!
Nairobi,
16 Janvier 2014
Paterne-Auxence
MOMBE, SJ